Entrevue plein air

Nos entrevues



Derniers articles

ENTRETIEN AVEC BERNARD VOYER, COLLECTIONNEUR DE SOMMETS
Les peurs contrôlées de Mylène Paquette
ENTRETIEN AVEC NICOLAS BODART
PATRICK READER, LE PARTAGE D’UNE PASSION POUR L’ARCTIQUE ET LES MERVEILLES DU MONDE!

ENTREVUE - JEAN LEMIRE, L'AVENTURIER DES MERS

Publié le 1 décembre 2014,

 

Jean Lemire revient de loin. Son Sedna IV rentre à bon port après une mission de 1000 jours pour la planète. Après avoir navigué sur les mers du monde durant trois ans, le chef de mission revient au pays la tête remplie d’images, le cœur entre deux eaux. Espoir, désespoir? Contre le «mal de mer» dont souffre la planète terre, le temps est venu de se mobiliser. 

Qui est Jean Lemire?

Je crois que les mots passion et rêve me définissent bien. Je n’ai jamais eu peur de prendre des risques pour aller au bout de mes rêves. Plutôt que de faire de la politique, j’ai choisi de faire des films en essayant de combiner la science et l’émotion à des fins de conscientisation.

 

Petit, Jean Lemire s’intéressait à quoi?

J’étais plutôt coureur des bois. J’aimais explorer, dormir et me perdre en forêt. J’avais une curiosité naturelle et je voulais comprendre les phénomènes de la nature. Étrangement, je n’ai vu la mer qu’à 19 ans.

 

Quels étaient vos modèles?

À une époque où il n’y avait pas d’Internet, je m’intéressais aux récits des vieux trappeurs et des coureurs des bois. Ils étaient des explorateurs modernes, quand on y pense.

 

Durant vos études en biologie, vous avez été rapidement attiré par l’océanographie. Quel a été l’élément déclencheur qui vous a orienté vers l’étude des habitats marins?

Certainement ma rencontre avec le spécialiste des baleines, Richard Sears. J’étais ornithologue, à l’époque, et je m’étais rendu à Longue-Pointe-de-Mingan pour observer une colonie de macareux moines. Un jour, Richard m’a offert d’aller en mer avec lui pour l’aider dans ses recherches. À peine avions-nous quitté le rivage qu’une baleine bleue est sortie à quelques mètres de notre embarcation. Ma vie venait de basculer. J’allais passer une grande partie de celle-ci à tenter de percer le mystère de nos derniers géants.

 

Le Sedna IV est arrivé comment dans votre vie?

Entre deux recherches scientifiques, j’avais commencé à faire des films sur les baleines et je cherchais un moyen de partager leur milieu. Je louais donc des voiliers pour mes tournages jusqu’au jour où j’ai vu une petite annonce pour ce grand voilier trois mâts. Avec des amis, nous avons tout vendu pour plonger dans ce rêve complètement fou. Nous avions peut-être l’un des meilleurs voiliers de la planète, mais nous n’avions pas un sou. Je me suis donc mis à écrire des projets tout aussi fous et j’ai réussi à rembourser une partie de l’investissement. Mais cette entreprise demeurera toujours un gouffre financier énorme.

 

Les changements climatiques chamboulent l’équilibre planétaire. Quels sont les constats les plus inquiétants sous les mers?

L’acidification des océans est une notion qui n’est pas très populaire auprès du grand public. C’est pourtant la plus grande inquiétude pour l’avenir des océans. La dégradation générale des coraux, causée principalement par une augmentation des températures des océans, va aussi jouer un rôle très important pour le futur des océans et inévitablement, pour le futur de l’humanité. Moins de coraux signifient moins de poissons. Or, plus d’un milliard d’humains ont besoin des poissons comme apport protéinique. Si on ajoute la surpêche au problème des changements climatiques, et si on ne fait rien rapidement, il n’y aura tout simplement plus d’industrie de la pêche d’ici quelques décennies.

 

Les batailles sont nombreuses. Par où commencer?

Il faut avoir une vision planétaire pour comprendre l’ampleur du problème environnemental. Mais il faut agir localement, s’impliquer dans les causes qui nous touchent en essayant d’influer sur nos dirigeants pour une vision à long terme. Les gens de Grenoble et ceux de Cacouna n’ont pas les mêmes enjeux et ne défendent pas, en apparence, les mêmes causes. Mais leur combat est similaire: ils ont des enfants et veulent pour eux une planète en santé. Pour certains, la lutte pour protéger le Saint-Laurent contre le pétrole sera une priorité. Pour d’autres, ce sera la préservation d’un milieu de vie propice à l’épanouissement de la famille. Peu importe la cause, tout un chacun peut faire quelque chose pour préserver le futur de la planète devant l’appétit insatiable de dirigeants pour qui le mot «économie» représente tout. La richesse devrait plutôt se mesurer dans l’investissement à long terme et pas seulement dans le profit à court terme.

 

Vous avez créé un véritable canal de communication avec les jeunes grâce à de nombreux programmes scolaires. Êtes-vous en mesure d’évaluer l’impact que vos missions ont sur eux?

Plus d’un millier d’écoles suivent nos missions tous les jours. Nous semons ainsi des graines auprès des décideurs de demain qui, je l’espère, favoriseront une approche économique et sociale basée sur le dévelop-pement durable des ressources de la planète, le respect de la vie sous toutes ses formes. Voir tous ces jeunes s’intéresser au sort de la planète et de l’humanité représente la plus grande récompense!

 

L’écologiste Pierre Dansereau disait: «Menacée par l’homme, la planète sera sauvée par l’homme». Est-ce que vous sentez que ça bouge, qu’on se mobilise, et qu’en jumelant intelli-gence et conscience, nous vaincrons?

Je sens qu’il y a une mobilisation citoyenne et cela m’encourage. La cause environnementale n’est plus un secteur réservé aux écologistes. Les gens sortent dans la rue et manifestent leur désaccord sur les réseaux sociaux quand la machine politique va trop loin. C’est bien, essentiel et vital. Et cela me redonne de l’espoir.

 

Vous n’êtes pas un activiste, mais depuis votre retour de mission, on vous voit de plus en plus prendre position, notamment contre l’oléoduc qui transporterait du pétrole des sables bitumineux sur 700km dans nos territoires fragiles. Selon vous, le Québec manque-t-il de militants prêts à monter au front?

Les manifestations sont de plus en plus nombreuses et la population a réussi à gagner des batailles importantes. On n’a qu’à penser au moratoire sur la fracturation pour les gaz de schiste. La lutte pour protéger le Saint-Laurent est aussi bien amorcée et les compagnies doivent maintenant changer leur approche devant une opposition citoyenne de plus en plus forte. Dorénavant, le développement économique devra atteindre un certain palier d’acceptabilité sociale pour aller de l’avant. Mêlée à celle des vieux écolos, la voix de monsieur et madame tout le monde porte maintenant auprès des politiciens qui, pour obtenir des votes, n’ont pas le choix de les écouter. C’est peut-être le début de ce grand changement tant espéré dans la gouvernance de nos pays.

 

De toutes les missions que vous avez accomplies, laquelle aura été la plus marquante, et pourquoi?

Mission Antarctique a changé ma vie et celle des membres de l’équipage du Sedna IV: ces 430 jours perdus au cœur du dernier continent vierge de la planète nous ont inspiré un grand voyage intérieur. C’est la mission d’une vie, celle qui a changé ma façonde voir et de comprendre la vie. Une mission un peu folle, mais une mission à portée sociale extrêmement importante et qui a initié des changements réels. Quand le public embrasse une cause, comme ce fut le cas pour celle-ci, alors, sincèrement, vous pouvez vous dire mission accomplie!

 

Quel est votre plus beau souvenir de ces 12 années de recherche à bord du Sedna IV?

Un soir d’hiver, dans l’obscurité omniprésente de l’Antarctique, nous avions décidé de préparer un véritable festin sur la glace, où était emprisonné le voilier. En utilisant un vieux baril coupé en deux, nous avons fait des grillades et avons installé une table de ping-pong sur la banquise. Quelle surprise de voir arriver des phoques crabiers – nos voisins d’hivernage –, qui semblaient intrigués par notre présence (ou peut-être par l’odeur des viandes grillées). Ils se sont approchés et nous avons fait de même, lentement, pour finir à quelques centimètres les uns des autres. Nous avons alors installé la caméra sous-marine dans l’eau et les avons filmés lentement, très longtemps. La lumière extérieure avait attiré du krill. Les phoques se sont mis à manger, eux aussi. Selon les revues scientifiques, les phoques crabiers utilisent leur dentition pour «filtrer» la nourriture entre leurs dents. Or, nos images ont démontré qu’il n’en étaitrien. Ils sélectionnaient les plus gros krills, qu’ils «aspiraient», en quelque sorte. Comme quoi la nature, quand on prend le temps de la vivre, peut encore nous révéler bien des secrets.

 

Jean Lemire en bref

 

Depuis 28 ans, le cinéaste Jean Lemire a réalisé de nombreux documentaires sur l’état des mers et de ses habitants. Depuis 12 ans, il parcourt les mers du monde à titre de chef de mission sur le Sedna IV. On lui doit cinq missions d’importance, dont la plus récente, 1000 jours pour la planète. En 2007, il est nommé Officier de l’Ordre du Canada, une distinction honorifique soulignant ses efforts en matière d’environnement. Il y a cinq ans, il signait le livre Le dernier continent: 430 jours au cœur de l’Antarctique, véritable chef-d’œuvre photographique.Au moment de publier ces lignes, Jean Lemire est déjà reparti pour une autre aventure. À 52 ans, l’homme au pied marin s’offre cette fois le luxe de partir à sa propre rencontre.

 

On ne peut que souhaiter de bien belles découvertes à ce grand homme qui, depuis près de 30 ans, sillonne la planète pour nous offrir toute la beauté du monde, de son vaisseau d’argent. 

Volume - 14

Partagez l'article!


Derniers articles

FESTIVAL INTERNATIONAL DE JAZZ DE MONTRÉAL 30 ANS DE DÉCOUVERTES
ENTRETIEN AVEC BERNARD VOYER, COLLECTIONNEUR DE SOMMETS
Les peurs contrôlées de Mylène Paquette
ENTRETIEN AVEC NICOLAS BODART

Recherche

Nouvelle édition »

s'inscrire à l'infolettre

Calendrier des activités